Les excursionnistes
September 21, 2024

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Comme il n'y avait plus rien de nouveau à voir sur leur pauvre vieille Terre desséchée, tout ayant été exploré, colonisé, cartographié, spolié, vendu depuis si longtemps, ses habitants les plus fortunés, insatiables amateurs de nouveautés, partirent à la découverte des dernières glaces vierges et vides, dont l’extrême rareté augmentait d’heure en heure leur valeur et leur prix. D’autant plus qu’avec une planète chauffée à blanc, brûlant des forêts entières, steppes et savanes aussi, l’air était irrespirable.


On suffoquait en plaine comme en montagne. Le désormais légendaire glacier Perito Moreno n’était plus qu’un ramassis de gros cailloux. Plus de glace ni de neige des Alpes à la Cordillère, à l’exception du massif de l’Himalaya dont les plus hauts sommets conservaient encore quelques fines couches de neige à proximité des cimes. Leur accès, bien que prohibitif pour le tout-venant, n’en demeurait pas moins strictement réservé aux alpinistes chevronnés, lesquels devaient pouvoir justifier de l’ascension en solitaire d’au moins une des cimes du massif pour obtenir un laisser-passer una tantum. Quant aux mers caoutchoutées par les millions de tonnes de plastique fondant à la dérive sur les eaux des cinq continents, leur accès et leurs abords avaient été interdits. Ni baignades ni promenades sur les plages où d’ailleurs l’odeur pestilentielle des milliers de cétacés échoués rendait l’air irrespirable. 



Derniers havres de fraîcheur, les pôles et leur mince calotte glaciaire qui se réduisait malheureusement d’année en année comme une peau de chagrin. 




Un iceberg ayant récemment quitté la banquise devint inopinément la destination de choix du cercle restreint de la haute nomenclature planétaire, vivant ordinairement terrée dans ses abris souterrains ultra confortables. Richissimes spéculateurs, capitaines d’industrie, Prix Nobel toutes catégories confondues, managers et manageuses, seuls ou en couple : le gratin du monde des festivals et des récompenses s’y donna rendez-vous pour une excursion plus unique que rare. Les gouvernants ne furent pas en reste, leurs diplomaties respectives se hâtèrent d’organiser des rencontres internationales et autres réunions sur le tapis de glace de l’iceberg. 


Le bon mot d’une journaliste qui couvrait l’événement fit le tour du globe. On s’empressa de traduire dans toutes les langues le maréolithe de son inventrice, que les Immortel/les qui crevaient de chaud sous leur Coupole avaient immédiatement adoubé. 



Il fallait, pour peu qu’on ait eu quelque importance en ce monde, absolument avoir vu la chose avant que celle-ci ne fonde inéluctablement dans le courant bouillonnant du Gulf Stream. Cependant, la liste d’attente était longue et il était fort probable que les derniers de la liste qui comptait plus de vingt mille aspirants ne seraient pas conviés à l’expédition en temps utile. Aussi, beaucoup de ceux qui se savaient exclus patientaient à la station polaire internationale, comptant sur une éventuelle défection au moment de l’enregistrement pour prendre la place d’un absent, un last minute providentiel. Malheureusement, on avait beau être entre gens du monde, les disputes étaient fréquentes ; tant est que les autorités furent obligées d’interdire l’accès à la station à toute personne ne figurant pas sur la liste journalière des scientifiques chargés d’accueillir les fortunés aspirants visiteurs. Lesquels, après les dernières formalités, s’embarquaient immédiatement vers la montagne de glace dont la pâle silhouette cassait au loin la ligne de l’horizon New Paragraph


Emmitouflés dans leurs parkas ostensiblement griffées, les excursionnistes faisaient le tour de l’îlot accompagnés de plusieurs guides polyglottes, pressés d’en finir et auxquels il était interdit d’accepter un quelconque pourboire visant à obtenir un second tour de la glacière. De même était-il rigoureusement interdit de toucher l’iceberg, et encore moins d’en prélever un échantillon, les contrevenants indélicats étaient sévèrement sanctionnés lors de la fouille à la sortie de la grotte de glace à l’intérieur de laquelle se trouvait un magasin de souvenirs et un débit de boissons évidemment froides. 

La visite se terminait par une brève allocution du chef de la station polaire d'où était parti l'iceberg, au reste dûment répertorié sous le sigle abscons et prometteur de 25Z2901. Le jeune fonctionnaire, bien mis de sa personne, et accompagné de son épouse très en forme malgré son âge, débita un flot d'informations incompréhensibles pour l'assistance, laquelle n'en fut pas moins charmée de s'entendre dire autant de termes savants et arides, comme le sol qu'elle avait eu le rare bonheur de fouler. New Paragraph


Des appariteurs en combinaisons polaires flambant neuves illustraient les propos du scientifique en exhibant la carte du périple de l'iceberg depuis son départ de la banquise jusqu'au lieu de sa probable disparition, tandis que de jeunes et avenantes stagiaires passaient entre les rangs du public en serrant précieusement entre leurs doigts effilés de longues carottes en forme de tuyaux d'orgue, à l'intérieur desquelles les excursionnistes médusés pouvaient admirer de minuscules bulles d'air emprisonnées dans la glace, et vieilles de 250 000 ans.



FIN